Grammaire wallonne en ligne
Li waibe del croejhete walone

Sous-sections

Formes de référence, régionales et locales

Formes de référence

Le but de départ étant de présenter une grammaire valable --pour l'essentiel-- pour toute la communauté sociolinguistique wallonne, il faut forcément poser une unité sous-jacente à la diversité observable. Dans beaucoup de langues, la question de la variété à décrire ne se pose même pas et n'est pas expliquée. Dans d'autres cas, une variante géographique, sociologique ou historique est explicitement privilégiée.

Il y a là un problème certes pratique (comment présenter la matière) mais surtout idéologique: considérer qu'un ensemble de «lectes» forme en théorie une langue est une chose; donner forme concrète à cette langue forcément abstraite et considérer les «lectes» comme des réalisations particulières de la langue en est une autre.

Chez nous, un tel travail n'a encore (à ma connaissance) jamais été entrepris explicitement à l'échelle de la communauté sociolinguistique wallonne tout entière --quoique de nombreuses propositions aient été faites dans ce sens au cours des dix dernières années. Cette première tentative est forcément partiellement arbitraire et je ne chercherai nulle part à me défendre de cette accusation fondamentale, qui pourrait d'ailleurs être adressée, dans une mesure plus ou moins grande, à n'importe quelle grammaire.

Donner corps au wallon (que ce soit à une échelle régionale ou à l'échelle wallonne) implique forcément de fixer ce qui est mouvant et de découper ce qui est continuum. Étant donné l'absence de tradition chez nous en ce domaine, la présente tentative doit être considérée comme une première approche qui, à défaut d'être idéologiquement correcte, a au moins l'avantage pratique de permettre la classification des variétés observées. Le but n'est cependant pas seulement d'aider à la classification des formes existantes mais aussi de progresser vers l'établissement d'une langue plus unifiée dans la graphie (un wallon «type» ou «de référence» ou «moyen» ou «rfondou», comme on voudra), pouvant être utilisée dans les fonctions où une telle forme de langue est et sera nécessaire à la vie du wallon. J'ai en outre l'intime conviction qu'il n'est plus possible, aujourd'hui, d'aimer et de pratiquer le wallon sans être un tant soit peu familiarisé avec ses principales variantes, tant à l'oral qu'à l'écrit: la communauté de langue wallonne est maintenant beaucoup plus réduite que par le passé et les contacts sont heureusement de plus en plus nombreux entre wallonophones de régions diverses; parallèlement, les revues actuelles et les médias modernes diffusent le wallon au delà des cercles de proximité. Ces deux éléments ne doivent pas être subis comme une catastrophe (certains allant jusqu'à prétendre «qu'ils préfèrent voir disparaître le wallon plutôt que de le voir changer») mais mis à profit comme une planche de salut ou un tremplin vers l'avenir.

Les exemples inventés sont écrits avec des formes de référence (les exemples littéraires sont toujours cités textuellement); les listes de mots (p. ex. d'adverbes, de conjonctions, etc.) sont classées par rapport à une forme de référence mais toutes les variantes connues sont citées.

Ce premier tri concerne essentiellement cinq niveaux de langue:

Orthographe

Depuis quelques années, certains animateurs (dont l'auteur de cette grammaire) remettent en question la bonne adaptation du système de transcription Feller, utilisé depuis une centaine d'années, à la vision unitaire et modernisée du wallon qu'ils cherchent à promouvoir.

Les principales raisons sont les suivantes:

Un premier choix s'imposait donc: celui d'utiliser et de systématiser l'orthographe rénovée élaborée depuis une dixaine d'années par la Commission Langue de l'Union culturelle wallonne [Commission de normalisation du wallonCommission de normalisation du wallon2000], quelques associations et quelques animateurs (voir notamment mahin95).

Précisons immédiatement que cette orthographe n'est pas utilisée en opposition aux systèmes de transcription des différents dialectes mais bien en complémentarité:

Pour un exposé systématique de l'orthographe normalisée et de ses différences avec le sytème de transcription Feller, voir p. [*].

Variantes phonétiques et phonologiques

L'orthographe normalisée présentée ici permet de rendre compte de plusieurs variantes phonétiques à partir d'un seul phonème ayant une représentation graphique typique. La plupart des sous-systèmes phonologiques sont par conséquent représentés: l'orthographe intègre ainsi le [h] occidental ou encore la nasale [ẽ] couvrant le nord du domaine linguistique wallon.

Pour un exposé systématique, voir p. [*].

Variantes dialectales

L'inventaire des variantes dialectales phonétiques du wallon (et corrélativement le choix éventuel de formes de référence) ne se limite pas à la phonologie et à la liste des réalisations phonétiques particulières des phonèmes.

Il faut aussi rendre compte de certaines évolutions phonétiques historiques divergentes.

L'orthographe normalisée proposée ici permet de rendre compte de nombre de variables dans ce domaine. Si le système de transcription Feller était utilisé, il serait difficile de justifier pourquoi novia pourrait être une forme de référence par rapport à novê, ou le contraire. Grâce à l'utilisation d'une forme écrite novea --d'ailleurs attestée dans le wallon écrit ancien (voir p. [*])-- la forme de référence écrite émerge d'elle-même et autorise toutes les réalisations existantes dans les dialectes. De même, la forme de référence écrite passaedje couvre les réalisations passèdje, passâdje et passadje; la forme de référence écrite troes couvre les réalisations trwès et treûs, etc.

L'orthographe normalisée ne permet toutefois pas de rendre compte de toutes les variantes dues à des divergences dialectales. Dans ces cas, il arrive très souvent que la forme écrite en orthographe normalisée soit nettement plus fréquente que les autres: p. ex., dans le cas de troes, les réalisations treûs et trwès couvrent pratiquement tout le domaine wallon. Les réalisations twès et trwâs sont nettement plus rares.

Dans d'autres cas, j'ai privilégié les formes qui me semblent préserver le mieux l'originalité du wallon au sein des autres langues romanes. Ce dernier critère doit être distingué du purisme gratuit, qui consisterait à privilégier systématiquement les formes qui sembleraient les plus exotiques. L'idée est plutôt de mettre en évidence des formes qui, quoique éventuellement moins répandues que d'autres, sont le plus conformes aux évolutions phonétiques propres au wallon et connues dans tout le domaine linguistique, quoique parfois de manière sporadique.

Il peut aussi arriver que des formes minoritaires soient choisies parce qu'elles s'insèrent dans un paradigme qui permettra de représenter les principales variantes présentes (voir p. ex. les articles indéfinis). Le but n'est pas l'originalité à tout prix mais la représentation des principaux traits caractéristiques de tous les dialectes contemporains.

Il faut toutefois noter que l'orthographe normalisée permet, dans la plupart des cas, de représenter pratiquement toutes les réalisations possibles de l'ensemble des variables qui constituent la langue wallonne.

Pour un exposé systématique, voir p. [*].

Morphophonologie

S'agissant des variations phonétiques portant sur des morphèmes (c.-à-d. pas des variations morphologiques au sens propre, lesquelles sont rares en wallon), le traitement est le même que ci-dessus si la variable notée par l'orthographe normalisée ne rend pas compte de toutes les variantes; toutefois, si l'accent est plutôt mis sur la représentativité dans le premier cas, la notion de cohérence au sein d'un paradigme sera souvent déterminante dans la morphophonologie.

Pour un exposé systématique, voir les différentes sections du chapitre consacré aux classes de mots, à partir de la page [*].

Syntaxe

En général, les variantes dans ce domaine sont mises sur un même pied et considérées comme équivalentes.

Lexique

Toutes les variantes lexicales sont mises sur le même pied (p. ex. djåzer, cåzer, pårler et dvizer sont considérés comme des synonymes; de même mindjî et mougnî magnî; niche, yôrd, mannet et måssî, etc.).

Formes régionales et locales

Il eût été possible de ne distinguer que des formes de référence et des formes «autres». Ce serait faire fi de la réalité: une langue est d'abord un fait sociologique et le fait est que la communauté sociolinguistique wallonne est fortement structurée autour de centres régionaux assurant la vie culturelle autour de cercles littéraires, de troupes de théâtre, d'auteurs influents, de cours du soir et de matériaux écrits localisés (dictionnaires, grammaires, revues, etc.).

J'ai donc, à chaque fois que c'était possible, exposé clairement les formes de quatre centres jugés représentatifs et correspondant aux quatre grandes variantes géographiques de la langue:

Ces formes régionales sont notées dans le système de transcription Feller, comme c'est le cas habituellement dans la production écrite wallonne contemporaine. On pourrait tout aussi bien écrire ces formes régionales en othographe normalisée, ce qui constituerait peut-être un intéressant stade intermédiaire entre les transcriptions phonétiques sans cohérence généralement utilisées actuellement et une véritable langue wallonne unifiée. Cette posibilité reste ouverte si le besoin s'en fait sentir.

Utiliser le système de transcription Feller pour noter les formes régionales impose de faire un choix parmi les variantes présentes dans la production écrite contemporaine, dans laquelle on trouve de très nombreux doublets comme fêt et faît, i fôt et i faut, ki et qui, etc. En général, ce sont les usages les plus fréquents qui sont retenus comme formes de référence.

Dans l'un ou l'autre cas, des options minoritaires ou plus récentes ont été privilégiées (voir par ex. notation de l'élision et de l'épenthèse, p. [*]) dans la mesure où elles me semblaient mieux correspondre à la réalité phonologique ou parce qu'elles se conformaient mieux à la graphie normalisée (p. ex. graphie du [k]).

Pour la sélection des formes représentatives de chaque dialecte, le choix des villes de Liège et Namur s'imposait dans leur région respective: elles en occupent le centre, géographiquement et linguistiquement, et elles en constituent les principaux pôles d'activité wallonne, sans vouloir négliger le rôle important que jouent d'autres centres tels que Malmedy à l'est.

On dit souvent des deux autres dialectes (ouest et sud) qu'ils sont plus fragmentés linguistiquement; ils ne le sont, à mon avis, ni plus ni moins que les autres. Ce qui rend le choix d'un dialecte représentatif pour ces zones plus difficile, ce sont des considérations sociolinguistiques plus que dialectologiques: couvrant une zone d'habitats plus clairsemée, le dialecte sud est venu à la littérature plus tard que les autres et a disposé de matériaux écrits (dictionnaires, grammaires, littérature) plus tard que les autres. Le choix de Bastogne est surtout dicté par l'existence d'un très riche dictionnaire [FrancardFrancard1994] et d'autres matériaux écrits; en outre, il est bien représentatif de quelques-uns des traits propres au dialecte sud. Cependant, il est aussi marqué par des évolutions très locales.

Pour l'ouest, il existe d'autres centres régionaux d'activité wallonne que Charleroi: La Louvière et la région du Centre, p. ex., viennent immédiatement à l'esprit. Le choix de la région de Charleroi est motivé par une vie culturelle intense et l'importance démographique de la métropole. En outre, Charleroi et ses environs sont linguistiquement représentatifs de la plupart des sous-dialectes de l'ouest-wallon. Enfin, on peut aussi soupçonner que la manière dont le wallon y évolue actuellement ne fait que préfigurer des évolutions qui se répandront demain dans une zone beaucoup plus large... Ce sera peut-être l'objet d'autres recherches.

Pablo Saratxaga 2012-05-20