De nombreux mots wallons peuvent connaître une forme «pleine» et une forme «élidée».
Ce sont les mots de type «cons. + voy. instable + cons.»: r(i)prinde (reprendre); p(i)tit (petit); d(i)vant (devant, avant); s(i)cole (école); k(i)mincî (commencer), etc.
Forme pleine | Forme élidée |
ele riprind (elle reprend) | dji rprind (je reprends) |
divant lu (avant lui) | pa dvant lu (devant lui) |
ene sicole (une école) | li scole (l'école) |
nosse pitit (notre petit) | li ptit (le petit) |
on noer tchivå (un cheval noir) | on blanc tchvå / djvå (un cheval blanc) |
ele kitape (elle gaspille) | i ctape (il gaspille) |
Mareye dischind (Marie descend) | Lorint dschind (Laurent descend) |
Dans tous les cas, la règle est simple: l'élision a lieu quand la syllabe à élider suit une syllabe ouverte (terminée par une voyelle).
Remarques:
a) Dans la plupart des régions (sauf parfois SW), les y [j] à la fin des mots sont nettement prononcés. Les mots terminés par -eye (-êye, -éye, -èye) et -îye se terminent donc par une syllabe fermée, laquelle empêche l'élision du mot qui suit. Dans certaines régions, le y n'est pas très sensible mais continue à empêcher l'élision du mot suivant, comme dans cet ex. lit.:
Enfin, dans certaines régions (malm., bast., chestr.), ce y n'existe pas. La syllabe est ouverte et le mot suivant s'élide: djoûrnée (pour djoûrneye, journée), industrîe (pour industreye , industrie), etc.
Voir aussi, plus loin, la section consacrée à l'emploi de l'apostrophe p. .
b) Il existe, dans les régions pratiquant l'épenthèse (EW, CW, OW) (voir ci-dessous Épenthèse et prosthèse) dans les groupes «s + cons.», une certaine tendance à éviter l'élision devant les groupes «cons. + w». Ex. lit.:
Il arrive aussi, quoique rarement, que les mots en «cons. + w» prennent une voyelle épenthétique selon la même règle que celle exposée ci-dessus pour les groupes «s + cons.»:
On distingue habituellement les cas d'élision (riprinde / dji rprind) des cas d'épenthèse (li scole / ene sicole). Cette distinction se fonde sur l'étymologie: la forme «de base» dans le premier cas est riprinde; dans dji rprind, le i tombe (élision); on note alors cette chute par une apostrophe: dji r'prind.
Dans le deuxième cas, la forme de base est scole; dans nosse sicole, on considère que le i est en quelque sorte un supplément, étranger au mot.
Cependant, dans le fonctionnement actuel de la langue, il s'agit d'un seul et même phénomène suivant une seule et même règle. Il semble donc plus économique et plus logique de ne pas établir de distinction dans l'écriture.
Ce n'est pas seulement pour la beauté de la description que ces «deux» phénomènes (élision et épenthèse) sont ici assimilés. Ils sont souvent ressentis par les locuteurs comme un seul et même phénomène; témoin les graphies inverses assez courantes du genre:
La voyelle instable la plus courante est un i [ɪ] (CW sauf dans le préfixe c(o)-, majeure partie de EW, partie de OW et SW) et c'est celle qui est utilisée dans les formes de références.
Dans la majeure partie du SW (Lesse, chestr., bast.), comme en verv. et en malm., la voyelle instable n'est pas i mais u [ʏ]: lu tins (le temps), dju sé (je sais), su vos vnoz (si vous venez), èle ruprind (elle reprend), cuminçans (commençons), one sucole (une école), etc.
En bouill. et en brab., la voyelle instable est ë [ə]: lë tins, ène sëcole, èle rëprind...
Rappelons que dans la plupart des régions, la voyelle instable est prononcée avec un timbre relâché (voir lettres i, p. et u, p. ): il est parfois difficile de décider s'il faut retranscrire u ou i.
Dans la majeure partie de l'OW, la voyelle d'appui est souvent è.
La voyelle qui se glisse entre deux consonnes (dji rprind → ele riprind) est dite «épenthétique» (CW, EW, SW). La voyelle qui se place devant le groupe consonantique (djè rprind → èlle èrprind) est dite «prosthétique» (OW).
En OW, la voyelle d'appui è ne se glisse pas entre les deux consonne mais, dans certains cas, devant ces groupes (voy. instable + cons. + cons.) (surtout les mots commençant par r + cons. ou s + cons.):
C'est un trait commun entre ce dialecte du wallon et le picard. Dans d'autres cas, la voyelle d'appui se place entre les deux consonnes (mots commençant par d + cons.), p. ex.:
Le picard, dans ces derniers cas, placerait la voyelle d'appui devant le groupe consonantique:
Tous les mots en «cons. + i + cons.» (ou variantes de i) ne s'élident pas:
Tous les mots en «s + cons.» ne prennent pas un i épenthétique derrière consonne:
Voir Degrés de naturalisation, ci-dessous.
Les dialectes qui pratiquent l'épenthétisme (EW, CW, SW) semblent peu adapter à ce système les emprunts récents ou mots savants:
Par contre, il existe en OW une tendance à placer un è prosthétique dans ces mots. L'OW naturalise assez souvent les mots calqués ou empruntés, alors que les autres dialectes (voyelle épenthétique) naturalisent peu. Ex. lit.:
Contre-ex. lit.:
a) Préfixe ki- ( ≃ cu- ou co-): il s'agit de trois formes du même préfixe avec une voyelle instable différente selon les régions: ki- en EW et cu- en SW: kitaper (EW) ( ≃ cutaper en SW, malm., verv.) → dji ctape. L'équivalent de ce préfixe en CW, une partie de l'OW et de SW est co-, mais ce dernier ne s'élide que dans de rares mots: èle comince (elle commence) → dji cmince (je commence); aler a cfèsse (aller à la confesse).
Dans la plupart des cas, en CW, il n'y pas élision: dji cotape (je secoue), i comache (il mélange).
Dans la majeure partie de l'OW, ce préfixe a la forme cou- et ne s'élide jamais: djè coumache (je mélange), djè coumèle (j'emmêle), djè couminche (je commence). Voir aussi p. .
b) Mots ayant un è dans la forme pleine. Quelques exemples:
c) On peut également élider le o de polu ( ≃ poleûr) (pouvoir) et de volu ( ≃ voleûr) (vouloir) (en CW et OW):
d) Enfin, le o à l'intérieur de vos (pronom objet indirect) peut également s'élider.
La forme pleine est vis en EW et vos ailleurs:
e) Tous les pronoms personnels sujets peuvent également s'élider (p. ).
f) L'adverbe pronominal endè (ènnè ≃ dè) s'élide également (p. ).
g) Le préfixe di- ou du- (EW) est normalement élidé: dihinde → dji dhind. Cependant, dans de nombreux cas, seul l'EW à un préfixe di- (cohabitant avec dis-) alors que les autres parlers ont un dis- ≃ dès- ≃ dus- non élidable: disteler ( ≃ dèstèler ≃ dustèler ≃ d(i)tèler ( ≃ dutèler) (dételer), disterer ( ≃ dèstèrer ≃ dustèrer ≃ d(i)tèrer ( ≃ dutèrer ) (déterrer), distoûrner ( ≃ dèstoûrner, dustoûrner) ≃ d(i)toûrner ( ≃ dutoûrner) , etc.
L'apostrophe est utilisée pour marquer l'élision d'un monosyllabe grammatical (dji, ti, li, si, ki, etc.) devant voyelle:
Devant consonnes, les usages sont variés. Il est possible, dans le système de transcription Feller, de calquer systématiquement toutes les élisions de la langue parlée. L'élision est toutefois un phénomène proprement oral et éminemment variable d'une personne à l'autre, d'une région à l'autre, d'une phrase à l'autre, d'un débit de phrase à l'autre. chacun de juger de ce qui est compréhensible et élégant...
On pourra écrire alternativement:
Les élisions peuvent être variables. Supposons la phrase française:
Selon les lecteurs, elle sera prononcée
peut être prononcée, suivant les locuteurs et les régions,
Certains auteurs conseillent de noter dans l'écriture toutes les élisions potentielles. Même sans tenir compte du fait que la langue écrite se doit de noter des choses différentes de la langue orale (elle se doit d'évoquer des formes, et non de copier le flux insaisissable de la phonétique), l'écoute d'interviews enregistrées montre que les locuteurs sont loin de réaliser en discours toutes les élisions potentielles. Enfin, l'expérience pédagogique avec les enfants ou des adultes apprenant le wallon montre que les élèves ont beaucoup de mal, à la lecture, à décoder de trop nombreuses élisions. Du reste, de nombreux auteurs évitent de noter systématiquement les élisions afin d'améliorer la lisibilité. Ex. lit.:
Il arrive assez souvent que des mots ne se distinguent que par la longueur et le timbre de la voyelle qu'ils contiennent; il faut donc noter cette longueur:
De nombreuses oppositions ne sont telles que dans une aire dialectale particulière:
Il arrive souvent que, d'un dialecte à l'autre, des mots ne diffèrent que par la longueur d'une voyelle: vôye ≃ voye (route), brût ≃ brut (bruit), oûy ≃ ouy (œil), rade ≃ râde (vite), traze ≃ trâze (treize), gayole ≃ gayôle (cage), fwart ≃ fwârt (fort), etc.
Il existe, un peu partout en Wallonie, une hésitation entre dénasalisation et nasalisation de tous les types de voyelles. Il est parfois difficile de savoir quelle forme a précédé l'autre. En cas d'hésitation, ce sont les formes apparemment les plus courantes qui sont utilisées dans les exemples comme formes de référence.
Ex. de dénasalisation: bén > bé (bien); djambe > djâbe (jambe), i vénrè > i vêrè (il viendra), etc.
Ex. de nasalisation: crême > crinme (crème); mâ nèt > mannet (malpropre; la première forme est arch.); rôze > rônze(rose), etc.
Pablo Saratxaga 2012-05-20